Internet peut-il achever la planète ?

Un titre volontairement provocateur pour expliciter un contexte souvent méconnu ou ignoré (volontairement) par beaucoup. En quelques années, Internet est passé du rang des potentiels sauveurs en renfort d'innovation à celui de responsable majeur. Plus la toile s'étend, plus de nouveaux usages apparaissent. Certaines innovations s'inscrivent dans une volonté de développement durable, mais la plupart des nouveautés sont toujours plus énergivores. Alors jusqu'à quand ?

Et comment, nous, utilisateurs et acteurs du numérique pouvons-nous infléchir cette progression folle ?

Internet devait pourtant sauver la Planète ?

Référence au livre "Développement Durable 2.0" de Gilles Bérhault qui a occupé nos chevets au démarrage de la précédente décennie, ce titre était alors une vraie idée porteuse de sens pour nous autres "informaticiens". La question était posée avec une espérance affirmative : Internet peut-il sauver la planète ?

C'est dans cette idée que nous avons créé KAPT en 2008 : mettre les nouvelles technologies au service du développement durable. Tirer profit des capacités offertes par Internet et les équipements connectés pour réduire l'empreinte environnementale de certains de nos usages reste une bonne initiative : moins de papier, moins de transport, plus d'efficacité, ...

12 ans plus tard, Internet est-il toujours le sauveur ou le bourreau ?

Malheureusement, nous nous sommes confrontés, à chaque fois, à un détournement de nos innovations d'usage. Par exemple, nos premières KAPSULES dont la diffusion via Bluetooth a rapidement été détourné pour "spammer" les mobiles via ce concept nous a conduit à interrompre ce produit. Autre exemple, les sites Web "légers" accueillant du contenu de plus en plus "lourds". Dernier exemple, nous avions travaillé à un concept de vitrine interactive dont nous avons transféré la technologie et aujourd'hui, nous sommes bien conscients que l'impact énergétique de ces dispositifs n'est pas acceptable : des écrans tactiles qui restent allumés toute la journée même sans utilisateur. Abject, alors qu'on pourrait imaginer des mécanismes de réduction drastique de l'énergie consommée.

On a tous en tête, le malheureux exemple des écrans qu'EDF avait placé dans les gares pour promouvoir les engagements climatiques.

écran lumineux edf climat

 

Nous avions l'intuition que ces solutions devenaient énergivores et moins pertinentes au regard de l'ambition environnementale initiale. Puis, est venu le temps des certitudes et enfin des décisions !

Quel impact environnemental réel du Numérique ?

Difficile d'estimer l'impact du numérique sur l'environnement tellement son usage est immatériel, et donc quasi-invisible. Pourtant, on imagine bien que ces 0 et ces 1 qui transitent de nos équipements à d'autres nécessitent de l'énergie. Et plus, on transfert de 0 et de 1, plus mécaniquement, on consomme. On voit bien qu'il faut recharger nos SmartPhones, tablettes ou ordinateur portable. Et bien les équipements de transfert et de stockage sont tout aussi énergivores, même plus. D'où l'importance de faire transiter un minimum de données grâce à plus de frugalité dans les usages (moins de vidéos en ligne), une stratégie digitale sobre et à de l'éco-conceptiondes applications et sites Web.

Plus ambigu, on imagine souvent que le numérique sera, au contraire, la solution pour minimiser notre impact environnemental :

  • des visio-conférences pour palier les grands déplacements,
  • des films à la demande pour éviter le déplacement au cinéma ou à la boutique de location de vidéos (qui n'existe d'ailleurs plus),
  • des transferts numériques pour éviter l'impression papier,
  • et d'autres solutions de dématérialisation ...

Malheureusement, tout cela a dérivé et nos usages aussi, au point d'arriver à plusieurs paradoxes :

  • des visioconférences Hautes Définition "gourmandes" qui générent, dans certains cas, plus de CO2 que ce que les voitures (laissées au garage) auraient pu dégager dans l'atmosphère. Et on voit aujourd'hui, parfois le recours à la visio au sein d'un même batiment : entrainant un déshumanisation des échanges ? Attention, nous ne pronons pas un retour au déplacement à tout prix, mais plus de cohérence et de frugalité dans l'usage des visio-conférences.
  • des films à la demande de plus en plus qualitatifs et donc lourds, mais aussi de plus en plus de quantitatifs notamment à travers les séries. On est ici face au plus gros fléau numérique : vidéos en streaming de plusieurs GigaOctets. On constate, par exemple, sur des forfaits mensuels de 100 Go que 90% de la dépense concerne de la vidéo, soit 90Go/mois, soit 3Go/jour. Lors du confinement, nous pouvions constater des statistiques plutôt autour de 5 à 6 Go/jour et par personne.
  • le réflexe de stockage dans le Cloud qui fait transiter et qui stocke des fichiers de plus en plus gros qu'il faut aussi sauvegarder par sécurité. Il faut avoir en tête que, dans certaines situations, le tranfert d'un fichier entre 2 équipements proches (à la maison ou au bureau) occasionne un petit tour de la planète !

Quelle est l'empreinte carbone des réseaux sociaux

Et bien, c'est sans doute le point le plus complexe à traiter pour l'instant car les principaux acteurs communiquent encore peu, ou plutôt de moins en moins sur ce point. Tout simplement, car avec l'arrivée de nouveaux usages autour de la vidéo et des notifications, les chiffres s'envolent.

Il y a 10 ans, Facebook annonçait le chiffre de 269g de CO2 par an par utilisateur. A l'époque, ce chiffre faisait déjà sourire car cette moyenne devait bénéficier de nombreux comptes "morts".

Aujourd'hui, c'est plus difficile d'avoir des chiffres précis, même des moyennes. Mais il y a fort à parier que même des services comme LinkedIn voit leur empreinte carbone exploser.

Alors, on ne s'hasardera à aucun chiffre pour 2020 dans ce paragraphe.

Et alors, Visio ou déplacement ?

Cela a été un dilemne à l'avantage du déplacement jusqu'au Covid-19. Avec le confinement, le télétravail est devenu la norme, et les visio-conférence un rituel au delà de l'outil pratique. 

Chez KAPT, nous favorisions les visios depuis longtemps et nous avions pris le réflexe de couper nos caméras lors des longs échanges. C'est une bonne pratique qu'il faudrait généraliser pour limiter l'impact sur la bande passante : se dire bonjour avec les WebCam actives puis couper les caméras pour le reste de l'échange. Ne conserver que le son réduit grandement l'empreinte carbone.

Donc difficile de trancher sur ce point, faute de chiffres des opérateurs (Zoom, Skype, ...) mais on peut quand même conclure que : 

  • une visio sera toujours plus frugale qu'un long trajet en voiture, ou pire, en avion,
  • comme pour les réunions , il vaut mieux éviter la surcharge de participants,
  • qu'il faut mieux couper l'image après s'être dit bonjour et couper le son lorsqu'on a rien à dire (en plus ça évite tout bruit proche non souhaité).

Quel est l'impact environnemental d'un mail ?

Un mail c'est invisible et pourtant ça a un poids en "Octets" mais aussi en "CO2". Bien évidemment, il y a une relation directe entre le poids en octets du mail et son impact CO2. En revanche, il est difficile de présenter une formule précise tant cela va dépendre de l'usage.

Pour mieux comprendre, le "poids" du mail impacte 3 balances :

  • celle de votre équipement qui envoit ou reçoit le mail,
  • celle du transport (l'ensemble des box, routing switch, routeurs, ...),
  • celle du stockage sur des serveurs (de mail) : émetteur et destinataire !

Et ces balances ne donne pas le même ratio octets/CO2 dans tous les pays. Par exemple, en France l'énergie est relativement décarbonée. Malheureusement, les serveurs de stockage se situent majoritairement dans des pays où l'énergie est souvent moins décarbonnée.

Tout comme les équipements qui sont assez largement produits en Asie, et pour lesquels il faudrait prendre une quote part de l'envoi ou la réception d'un mail, mais dans les faits, cette quote est négligeable par rapport aux autres usages (vidéos) des SmartPhones et tablettes aujourd'hui.

On ne peut donc donner que des moyennes ou des fourchettes, mais cela donne un ordre d'idée dont peu de gens ont pris conscience : un e-mail a une empreinte carbone!

  • un simple e-mail c'est 3 à 5g de CO2,
  • un email avec votre belle signature de mail et pas mal de texte : presque 10g de CO2,
  • un e-mail avec une pièce jointe de 1Mo c'est presque 20g de CO2 ! Plus de détails chez les spécialistes de l'envoi de mail
  • un email indésirable, même non ouvert, c'est entre 0,3 et 0,5g de CO2 ! Et oui, à quand la fin des Spams ?
  • et l'e-mail avec de belles (et grosses) photos de vacances à toute votre famille, peut peser jusqu'à 100g de CO2 ! soit, à titre de comparaison, 1 km au volant d'une voiture économe.

Le Cloud est donc un gros nuage de pollution

Le Cloud ressemble donc à ces nuages moches qu'on peut apercevoir l'été dans certaines grandes métropoles. On attribue alors cela au transport des véhicules à moteurs thermiques. Et pourtant, il y a de plus en plus d'impact des usages numériques.

En fait, on va retrouver la même logique pour l'empreinte carbone d'un e-mail : le transfert souvent loin (très loin), le stockage et la sauvegarde et souvent aussi la réplication afin d'être plus performant. 

Et, c'est pour cela, que l'empreinte carbone du Cloud est similaire à celle des e-mails. Il faut garder en tête que 1Mo sur le Cloud c'est environ 15 à 20g de CO2. Transférer 50 Mo sur le Cloud génère donc 1kg de CO2 (~10 km avec ma voiture économe).

Le problème c'est que cela ne s'arrête pas là car l'intérêt même du Cloud et de pouvoir partager et faire vivre cet espace de stockage. Il y a donc fort à parier que ces 50 Mo évoluent et que l'empreinte carbone augmente avec !

Il devient urgent de revoir nos usages numériques

Ces quelques lignes vous auront, on l'espère, alerté sur l'empreinte carbone des usages numériques. On se préoccupe plus du CO2 généré par sa voiture pour aller au bureau que par la quantité croissante de mails envoyés et de fichiers transférés dans la journée. Malheureusement, l'impact du numérique professionnel est en train de dépasser l'empreinte carbone des trajets domicile travail.

De notre place, nous avons vu la dérive de ces 10 dernières années avec une accélération du volume de données qui transite et qui est stocké sur la toile. Notre posture est donc plutôt celle de pessimistes actifs. Difficile d'ailleurs de rester simplement optimistes dans ce contexte. Nous sommes conscients que nous avons un rôle à jouer "en tant qu'expert".

Et que peut faire KAPT ?

En premier lieu, nous pouvons essayer de mettre notre énergie et notre expertise au service des projets qui nous semblent les plus vertueux.

Ensuite, nous pouvons aussi poursuivre nos efforts de R&D afin de proposer des services performants en rationnalisant leur impact énergétique.

Enfin, c'est ce que nous essayons de faire humblement à travers ce billet de blog : sensibiliser nos auditeurs à ces questions environnementales qui sont encore trop peu ancrées dans le secteur numérique.

S.G.

Pour aller plus loin, cette étude infographique de l'ADEME : https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-face-cachee-numerique.pdf


Articles similaires